Santé et environnement (Dr Karim Bedar)

Description

 

LES CONSTATS

Le mythe de l’espérance de vie est en progression. Ce qui augmente, c’est la durée de vie des générations qui décèdent. Il existe en revanche une diminution de l’espérance de vie en bonne santé. Selon l’INSEE, en 2011, elle était de 63,5 années pour les femmes en France, et de 61,9 années pour les hommes. Cette espérance a baissé d’un an au cours des cinq dernières années. En 2011, l’Organisation mondiale de la Santé alertait sur la gravité de la situation :

« L’épidémie mondiale de maladies chroniques a été largement ignorée ou sous-estimée par rapport à d’autres problèmes de santé. » Elle estime que pour certains pays, « il n’est pas exagéré de décrire la situation comme une catastrophe imminente pour la santé, pour la société et surtout pour les économies nationales ». Richard Horton, rédacteur en chef de la revue scientifique mondialement réputée « the Lancet », qui publiait un rapport alarmiste en décembre 2012, déclarait : « Sans une action politique concertée et coordonnée, les progrès accomplis dans la lutte contre les maladies infectieuses seront réduits à néant lorsqu’une nouvelle vague de maladies évitables engloutira les plus vulnérables. » Cette situation touche aussi bien les pays du Nord que ceux du Sud. En France, nous faisons face à ce que l’on appelle les affections de longue durée, qui sont schématiquement les maladies prises en charge à « cent pour cent » par la sécurité sociale : certaines maladies cardiovasculaires, les cancers (selon la définition « large » de l’environnement, on peut estimer à près de deux tiers la responsabilité de l’environnement dans les cancers.), le diabète sucré, certains troubles psychiatriques, les maladies type Alzheimer, etc. En 1994, on comptait 3,7 millions de malades en ALD. Nous sommes passés à 8,6 millions en 2009. Soulignons aussi la part importante des maladies respiratoires, avec en particulier un doublement en 20 ans des cas d’asthme, affectant environ 10 % de la population infantile. Les atteintes à notre environnement sont manifestement délétères pour notre santé à travers une contamination chronique généralisée par l’air (chaque année, deux millions de décès dans le monde par la pollution urbaine), l’eau, le sol : particules fines dans l’air pollué, pesticides, etc. Dans la mesure où le vieillissement de la population en particulier ne peut expliquer seul l’augmentation de ces chiffres, l’explication ne peut être trouvée que dans le changement de l’environnement. Des études viennent corroborer cette thèse. On sait maintenant par ailleurs que l’environnement, au cours de la vie fœtale, conditionne largement la nature et la fréquence des maladies à l’âge adulte. Notre alimentation « ultra-transformée » repose sur une agriculture productiviste pauvre en (micro) nutriments, riche en graisses, en sel, en sucre. Certes, les enfants nés en 2015 peuvent espérer vivre plus longtemps que leurs prédécesseurs nés en 1915, mais au sein de quel environnement et dans quel état ? Il existe des risques nouveaux que nous devons chercher à mieux connaître. L’impact des nanotechnologies est actuellement étudié car elles présentent un risque probable pour notre santé, les ondes électromagnétiques des lignes à haute tension, de la téléphonie mobile, le Wifi, etc. À ce sujet, deux données sont rapportées scientifiquement : il existe une augmentation de cas de leucémies (cancers du sang) chez les enfants vivant à proximité de lignes à haute tension, et un risque de tumeurs cérébrales multiplié par trois pour les utilisateurs intensifs de téléphone portable (plus de 5 h par jour pendant 12 ans). Il est utile de préciser que la précarité est un facteur aggravant, voire déclenchant des problèmes de santé liés à l’environnement. En France, l’espérance de vie d’un sans domicile fixe est de 43 à 49 ans, elle est donc inférieure de 30-35 ans à celle de l’ensemble de la population. On observe des phénomènes de cumul d’inégalités environnementales et sociales dans certaines zones (comme certains territoires dégradés du fait de leur passé industriel) et auprès de certains groupes de populations (les personnes âgées, les jeunes enfants, les personnes en situation de précarité). Ce constat doit guider les actions à mettre en œuvre et permettre de travailler auprès de ces publics en priorité.

 

LES DÉFIS ET LES PISTES

Les politiques de santé ont été pensées d’un point de vue curatif (traitement de la maladie) et pas suffisamment d’un point de vue préventif, en amont de la maladie, afin de l’éviter. Il est très important que les populations s’approprient la question de la santé environnementale, notamment face au poids des lobbies industriels et à l’inertie parfois du pouvoir politique (même si on peut avoir l’impression que les choses changent). Cette appropriation se manifeste à travers les plans nationaux et la COP21 a pour ambition d’aller dans ce sens. Un travail en réseau avec des professionnels, des « alerteurs », des études indépendantes au service de la population, loin des expertises financées par ces lobbies, paraît crucial pour que la population puisse prendre part réellement à la maîtrise de son environnement et espérer limiter les conséquences néfastes sur la santé (exemple du bisphénol A dont l’interdiction dans les biberons doit beaucoup au travail du Réseau Environnement Santé). Lorsqu’il existe de fortes suspicions sur la responsabilité d’un facteur identifié comme étant à risque par les scientifiques, il faudrait que les politiques appliquent le principe de précaution.